LE DERNIER AGE D’OR D’HOLLYWOOD

    Le brouhaha provoqué par la sortie du dernier film de Martin Scorsese, Gangs of New York, suivi par Arrête-moi si tu peux de Spielberg, est une bonne occasion pour se risquer à un historique du cinéma américain des années 70, aussi et surtout des réalisateurs qui les ont animés, une génération de wonderboys dont les noms résonnent encore aujourd’hui :
De Palma, Coppola, Lucas, Friedkin, Milius…

LES PREMIERS SIGNES DU CHANGEMENT

Lorsque arrive la fin des sixties, la fin de la décade prodigieuse qui fit se télescoper tous les courants culturels (peinture abstraite, musique libératrice, littérature contestataire, et cinéma donc), la majorité des studios hollywoodiens sont tenus par des patriarches aux allures de dinosaures. Pour eux, les anciennes méthodes font figure de Bible, mais les artistes, et surtout le public, vont les pousser à ouvrir les yeux : en 1969, Easy Rider devient l’un des plus grands succès de l’histoire. Easy Rider, écrit et réalisé par Dennis Hopper et Peter Fonda, deux marginaux d’Hollywood, est un film de hippies expérimental célébrant le voyage en Harley Davidson. Dans le même temps, les grosses productions maison périclitent, de telle sorte que les financiers du milieu, les « décideurs » et producteurs, commencent à faire les yeux doux aux jeunes apprentis réalisateurs, tout frais sortis de leur école de cinéma. Parmi eux, deux gamins n’ayant même pas la trentaine, réalisent leurs premiers films, au grand émerveillement de leurs collègues : ils se nomment William Friedkin et Francis Ford Coppola. L’ère du western touche à sa fin, la guerre du Viêt-Nam ébranle durablement l’opinion : une autre ère cinématographique commence.

 

8 LES WONDERBOYS ATTAQUENT

Coppola, quoiqu’on en pense maintenant (il prépare dans le secret un film nommé Megalopolis, mais sinon, rien, il vend du vin), a été un pionnier, mieux, un modèle pour les cinéastes qui l’ont côtoyé ou suivi. Lorsque il accepte de tourner Le Parrain en 1972, Coppola est le président d’American Zoetrope, qui a produit le premier film de George Lucas (avec qui Francis est copain comme cochon), THX 1138. Un four financier. Malgré l’ingérence de la Paramount, qui produit à contrecœur cette fresque mafieuse, Le Parrain est un chef d’œuvre qui va rafler pas mal d’Oscars et crever le plafond du box-office. Coppola est désormais tout-puissant. Juste avant lui, le jeune William Friedkin a fait sensation en remportant l’Oscar du meilleur réalisateur pour son extraordinaire French Connection. Il s’apprête à dépasser les scores du Parrain en réalisant L’Exorciste. Sur la côte Ouest, autour de Los Angeles, une bande se forme peu à peu. Coppola est symboliquement, « Le Parrain », Lucas l’obsédé de la technique, Brian De Palma l’artiste maudit, Martin Scorsese le superstitieux torturé et le plus jeune, Steven Spielberg, le fanboy de base. Entourés d’une génération équivalente d’acteurs (Jack Nicholson, Robert de Niro, Al Pacino, Ellen Burstyn, Jeff Bridges, Jennifer Salt, etc…) et de scénaristes (Paul Schrader, Robert Towne, John Milius), ils vont redéfinir à eux seuls ou presque les goûts du public, du grand public plutôt, puisque le nombre d’entrées réalisé par leurs films dépassent de loin les chiffres des décennies précédentes. C’est l’époque où des films innovants et/ou difficiles remplissent les salles et réjouissent les critiques, qu’il s’agisse de film politique (Les Hommes du Président, d’Alan Pakula) ou de film « d’auteur » (La dernière séance, de Peter Bogdanovich). Le phénomène atteint son apogée avec Les Dents de la Mer et La Guerre des Etoiles, qui pour la première fois dans l’histoire du septième art, sont plus que des films : ce sont des phénomènes. Ils engendrent un nouveau type de commerce : le merchandising, ou produits dérivés. En 1977, la génération du New Hollywood comme on la surnomme, peut faire ce qu’elle veut.

« ON A TOUT FOUTU EN L’AIR »

Cette phrase, prononcée dans Easy Rider, se révèle prophétique à l’orée des difficiles années 80, alors que les sommes investies dans le cinéma s’alourdissent et qu’en conséquence, les calculs commerciaux prennent le pas sur l’audace artistique. Il ne faudra pas longtemps avant que les nababs d’hier ne soient muselés. Raging Bull, peut-être le meilleur film de Martin Scorsese, est un cuisant échec au box-office. Coup de Cœur, réalisé après Apocalypse Now, ruine totalement Francis Ford Coppola. Blow Out, le grand thriller politique de Brian de Palma, s’écrase dans les salles sans retentissement. Idem pour les films de Friedkin, Bogdanovich, Robert Altman, Hal Hashby,…toutes ces « vedettes » vont payer le prix de leur indépendance. Le coup de grâce est porté par Michael Cimino, réalisateur de Voyage au bout de l’enfer, qui avec le western La porte du Paradis, coule pour de bon un studio, la United Artists, fondée à la fin du muet par Chaplin. Une autre ère commence…

VINGT ANS PLUS TARD…

Si les plus grands sont restés d’actualité (Scorsese donc, Spielberg et Lucas bien évidemment, De Palma et Altman également), nombreux sont ceux qui n’ont pu retrouver les moyens ou l’énergie nécessaire pour signer un nouveau chef d’œuvre (Milius, qui prépare en vain Conan 3, Bogdanovich, disparu de la circulation, et surtout Cimino). Leur œuvre est en tout cas énorme, dans certains cas, elle est la source de notre soif de cinéma (Indiana Jones ! Star Wars ! Scarface ! Les Affranchis ! Apocalypse Now !). Les écrits restent (Le Nouvel Hollywood de Peter Biskind retrace toute leur épopée), les films aussi. Plongez-y.